Texte critique Par Agathe Anglionin
Julie Espiau "Sculptures céramiques"
Le corps de la femme associé à l’eau et à la flore est un thème de prédilection pour Julie Espiau.
Au premier abord, il ressort de ses sculptures en céramiques une impression de matière et de vides enchevêtrés, des entrelacs qui pourraient évoquer certains motifs floraux de l’Art nouveau ou encore des arabesques orientales. Puis on y retrouve une imagerie inspirée par la mythologie, telles les Naïades et les sirènes, ces divinités aquatiques qui fascinaient les hommes qu’elles rencontraient.
Ainsi les figures monochromes de l’artiste recourent à une hybridation qui convoque autant l’univers marin que végétal associé à celui de la féminité. Dans ses compositions, la grâce se révèle dans les mouvements d’une danse naturelle, comme le seraient des algues bercées par les courants marins, une chevelure emmêlée par le vent ou encore des flammes jouant avec l’air. Il en ressort un univers élémentaire où le mouvement est primordial, comme autant d’impulsions par lesquelles le corps tendrait à s’échapper pour atteindre au céleste.
Cela reste vrai pour toutes les figures, excepté une seule qui pourrait être rapportée à l’artiste. De couleur orange symbolisant le mouvement, cette figure exprime une renaissance. Elle représente le corps d’une sirène à moitié repliée sur elle-même, dans une posture qui évoque un réveil et peut-être la fin de la longue immobilité subie par Julie Espiau, suite à l’accident qui aura changé le cours de sa vie. Ce dernier aura été source de révélation pour l’artiste qui cherchera ensuite à se réinventer.
Profondément subjectif, l’univers de Julie Espiau est une quête d’expressivité plus que d’harmonie. Pour le dire autrement, il est question de ressentir plus que de voir. Ses sculptures expriment un cheminement sensuel détourné des canons habituels. C’est une réaction assumée où le corps voluptueux de la femme se révèle par des lignes serpentines lesquelles, au contraire de la réduire, permettent aux imperfections de jouer leur va-tout et de tirer leur épingle du jeu.
Si les vides dans les sculptures expriment des émotions contenues, les pleins s’affirment malgré leur contournement et cherchent à s’approprier l’espace visuel. Mais ici, l’œil semble plutôt assujetti au geste qui cherche à frôler les apparences, car Julie Espiau s’exprime avec les mains plutôt qu’avec les yeux. En travaillant la terre directement avec un couteau, elle cherche une fluidité que l’œil pourrait suivre sans s’arrêter à un objet déterminé. Son but est de mieux s’opposer à une tyrannie du regard qui domine les représentations des corps féminins. Ici, aucune analogie qui procéderait par ressemblance, mais bien des traits de féminité en rupture de ressemblance. L’intention est aussi de comprendre ce que veut dire habiter le corps d’une femme aujourd’hui.
Ainsi les céramiques, souvent associée à l’univers du design et de la décoration, deviennent chez Julie Espiau une véritable matière à vision, celle d’une féminité qui ne reposerait plus sur des formes saturées, souvent rabattues, mais sur un amalgame de pleins et de vides représentant les traces formées par des ondulations plus profondes, celle de la sensualité.
Agathe Anglionin
Architecte l Curatrice | Critique d'art
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