Le vide dans l’art et dans mes Sculptures : l’invisible au coeur de la création
Assise sur le sable au bord de l’océan, le bruit assourdissant des vagues résonne en moi. Mes cheveux s’emmêlent dans le vent, mon regard se perd dans l’immensité. Je fais le vide.
L’océan a ce pouvoir régénérateur, il emporte avec lui les pensées lourdes, lave l’esprit comme une marée qui efface les empreintes sur le sable. Je compare souvent cela à une "machine à laver" : il prend les émotions pesantes et les emporte au loin, laissant place à de nouvelles inspirations, de nouvelles idées.
J’ai décidé de démarrer un blog sur l’art , et pour mon premier article, j’ai choisi un sujet qui me tient particulièrement à cœur et qui est souvent mal compris : le vide dans l’art.
Quand on regarde une sculpture, on perçoit d’abord la forme. Et de cette forme naît un sens, ancré dans nos repères visuels et culturels. Mais ce qui m’intéresse, ce n’est pas seulement ce qui est visible. C’est ce qui l’entoure, ce qui le traverse, ce qui existe dans l’absence.
Dans mes œuvres, je donne du signifiant à ces vides pour faire passer un message. Ce qui compte le plus pour moi, c’est de vous embarquer avec moi dans le vide de mes sculptures, pour changer votre regard :
"Vous voyez des formes, là où je vois du vide. "
Avant de créer des sculptures abstraites, j’ai travaillé longtemps le corps féminin dans un style réaliste. Représenter l’enveloppe charnelle, détailler chaque courbe, chaque cil, était ma manière d’exprimer la féminité.
À cette époque, je ne réfléchissais pas au vide. Il n’existait pas pour moi. Qui, en regardant une sculpture, perçoit le vide autour d’elle ? Personne.
L’œil accroche d’abord les contours. L’esprit associe la forme à quelque chose de connu, il la décrypte et lui donne un sens immédiat.
“Je reconnais une silhouette féminine, donc c’est une sculpture de femme”.
La lecture de la forme est automatique. Elle est renforcée par la texture, la couleur, les détails. Mais qu’en est-il lorsqu’il n’y a plus de repère évident ?
Lorsque l’on s’éloigne du figuratif, la lecture devient plus complexe. L’artiste déforme la réalité pour emmener le spectateur dans son univers.
Un exemple : j’ai réalisé une œuvre sur le thème d'une danse du voile, "Mélaya" où le corps s'est effacé au profit du voile et du mouvement . Résultat ? Beaucoup d'interprétations différentes qui étaient très éloignées de mon intention initiale, mais qui étaient intéressantes et pertinentes.
L’interprétation prend alors le dessus sur la reconnaissance. L’imagination remplace le décryptage immédiat. Mais ce qui compte dans une œuvre ne se limite pas à l’identification des formes.
Face à une sculpture, l’émotion est la première chose que l’on ressent. Une œuvre transmet des idées, des concepts, des messages “avant tout par l’émotion”. Une sculpture aux formes carrées ne provoque pas la même sensation qu’une sculpture aux courbes douces.
C’est la composition des formes entre elles qui génère un ressenti : tension, harmonie, contraste.
Et cette composition ne peut exister “sans le vide”. Si les formes dialoguent, c’est parce qu’il y a un espace entre elles. L’artiste joue avec cet espace.
Le vide devient alors un élément structurant de l’œuvre.
Ou plutôt, c’est l’absence de quelque chose. Un espace dans lequel il n’y a rien. Et pourtant, il est essentiel.
Le vide est partout dans notre vie. Il est présent dans notre langage :
- "Faire le vide."
- "Je suis vidée."
- "Le verre à moitié vide."
- "La nature a horreur du vide."
Mais le vide n’est pas uniquement une absence. En physique, un vide absolu est impossible : même dans l’espace, il existe des particules. En médecine, le vide émotionnel peut être un manque à combler, un poids invisible.
Dans l’art, il peut être perçu comme un manque, ou comme une force créatrice.
Henri Matisse disait : “Le vide est une puissance créatrice.”
Et je ne peux qu’être d’accord.
Ma première vraie rencontre avec le vide dans l’art remonte à mes 18 ans. En cours de modèle vivant, aux Beaux-Arts de Bordeaux, un professeur nous disait souvent :
"Dessinez en regardant la forme du vide autour du corps, et votre dessin sera plus juste.”
Mais c’est lors de ma visite de l’exposition Calder-Picasso au Musée Picasso que j’ai réellement compris la puissance du vide.
Les mobiles de Calder, les sculptures en fil de fer de Picasso : autant d’œuvres où le vide devient matière. Avec des lignes flottantes, formes ouvertes, le vide n’est plus un manque, il est le véritable sujet de l’œuvre.
Lorsque je crée une sculpture, je commence toujours par un croquis. Je travaille les vides pour dessiner l’enveloppe, avant même de travailler la matière.
Puis vient la terre. Avec mon opinel, je découpe, j’évide, je retire. Je ne modèle pas seulement les formes. Je modèle l’espace entre elles.
Le vide crée un jeu de contrastes et de tensions. Il devient un élément de composition autant que la matière.
Dans mes œuvres, le vide a surtout un sens émotionnel. Mes sculptures sont des corps vides., vides de matière, pas de sens.
J’appelle cela le cocon émotionnel : ces espaces vides symbolisent les émotions enfouies, contenues, indicibles. Le corps devient une cage à émotions, avec des ouvertures, des respirations, pour laisser ces émotions s’échapper.
Ces vides parlent de ce que l’on cache, de ce que l'on ne veut pas dire, des émotions qu'on veut contenir. Bien souvent, ils évoquent le rapport des femmes à leur propre corps. parce qu’ils racontent l’impact du regard des autres, et le regard que l’on porte sur soi.
Il y a trois ans, je pensais être une sculptrice du vide. Aujourd’hui, je sais que je suis sculptrice des émotions.
Je donne une couleur, une texture, un caractère au vide, parce que le vide n’est pas un néant, il est une présence.
Ma recherche sur le vide ne fait que commencer. Mais, j’espère que ces quelques lignes vous auront donné une nouvelle perspective. La prochaine fois que vous verrez une sculpture, ne regardez pas seulement la forme.
Regardez ce qui l’entoure, ce qui la traverse, ce qui respire en elle.
Et, si vous en avez l’occasion, entrez dans une galerie, poussez la porte d’une exposition et regardez autrement.
Peut-être que, comme moi, vous commencerez à voir le vide.